EVOLUTION - AYNUR BEGUTOV

L’histoire de la guitare russe à sept cordes commence à la fin du XVIIIe siècle lorsque le guitariste et compositeur Andreï Sikhra forme une école professionnelle de guitare en Russie. Dès lors, cet instrument servira de fil rouge aux œuvres de nombreux écrivains, poètes et dramaturges (Pouchkine, Lermontov, Grigoriev), peintres (Tropinine, Makovski, Perov) et compositeurs (Varlamov, Khandochkine) et intègrera peu à peu toutes les strates de la société russe.

Andreï Ossipovitch SIKHRA (1773 –1850) est considéré comme le fondateur de l’enseignement de la guitare en Russie; il a permis à cette dernière d’ accéderau rang d’ instrument de concert. Auteur d’ une Formation théorique et pratique à la guitare à sept cordes, il a écrit des centaines d’oeuvres et réalisé de nombreux arrangements pour guitare et ensembles de guitares ou de pianos. Il est également l’auteur du premier concerto russe pour guitare et orchestre (dont la partition a été perdue).Les Variations sur la cavatine de La Pie voleuse d’après l’opéra de Gioachino Rossini offrent un brillant exemple de l’art de Sikhra. Dès l’introduction, on ne peut qu' admirer l’évidence de la pensée orchestrale du compositeur ainsi que sa connaissance profonde des possibilités techniques et des différents registres de la guitare. Son utilisation intensive de la technique dite de la «Campanella» - qui exploite au maximum les cordes «à vide» - est particulièrement remarquable . Pensée musicale et gestes instrumentaux vont toujours de pair et s’enrichissent mutuellement, révélant ainsi tout le génie du compositeur.

Nikolaï Ivanovitch ALEKSANDROV (1818 - 1884) compte parmi les plus talentueux élèves d’Andreï Sikhra. Ce dernier lui a d’ailleurs dédié certaines de ses plus belles œuvres, parmi lesquelles sa fantaisie Sredi Doliny Rovnyya(Dans la basse vallée). Parmi les très rares éléments biographiques existant sur lui, on sait qu’il a serviau grade de coloneldans le régiment des Hussards de la garde impériale, qu'il quittera dans les années 1860 pour se consacrer entièrement à la musique et prendre des cours de composition auprès du célèbre professeur Tivolski. Sa musique est très représentative de la culture de la musique de salon du milieu du XIXe siècle en Russie. La Valse de l’Adieu fut très populaire en son temps; la Mazurka est pleine d’élégance et de grâce; la légèreté de la Chic Polka évoque quant à elle les bals et les fêtes de la noblesse russe.

Mikhail Timofeïévich VYSOTSKY (1791-1837) peut être qualifié de véritable génie. Son père est commis au domaine du célèbre poète Kheraskov, près de Moscou, dans le village d’Otchakovo, où Vysotsky naît et grandit. C’est aussi là qu’il prend des leçons de guitare aux côtés d’Aksenov, le meilleur élève de Sikhra, qui séjourne souvent au domaine. Après la mort de Kheraskov, Vysotsky déménage à Moscou vers 1813 et y vit jusqu’à sa mort. Il s’y fait rapidement connaître comme guitariste et ses leçons y sont très appréciées. Son cercle d’amis et d’admirateurs comprend alors de nombreuses personnalités du monde de la musique et de la littérature (M. A. Stakhovitch, M. I. Lermontov, A. I. Polejaïev, A. I. Dubuque, et bien d’autres). Fernando Sor le rencontre en 1823 et en parle avec respect et enthousiasme. En tant qu’interprète, Vysotsky surprend par sa technique inhabituelle, ses dons d’improvisateur et la richesse de son imagination musicale. Il laisse notamment en héritage l’ ouvrage Enseignement pratique de la guitare à sept cordes qui comprend des arrangements d’œuvres de Mozart, Bach, Beethoven, Hummel ainsi que des œuvres originales. Le cœur de son travail de compositeur consiste cependant en des variations sur des chansons folkloriques russes. Enfant du peuple, il en comprend les traditions et la signification profonde et les traduit en musique.

Violoncelliste de formation, c’est en autodidacte que Matveï Stepanovitch PAVLOV-AZANCHEEV (1883-1963) apprend à jouer de la guitare à sept cordes. De 1924 à 1933 il travaille comme chef de l’Orchestre symphonique de Vladikavkaz, puis il s’installe à Sotchi où il officie en tant que soliste - violoncelliste et guitariste - à l’Orchestre Philharmonique. En 1945, sur fausse dénonciation, il est arrêté pour propagande anti-soviétique et condamné à 10ans de camp de travail pénitentiaire avec confiscation de ses biens (il ne sera réhabilité à titre posthume qu’en 1993).Après sa libération du goulag, il s’installe dans la région de Krasnodar où il se produit sur scène et donne des cours de guitare; il vitnéanmoins dans une grande pauvreté. Dans ses dernières années, il perd ses modestes moyens de subsistance. Contraint de se rendre à l’hospice d’Armavir, il y meurt le 8 janvier 1963.
En tant que compositeur, il est l’auteur de 97 œuvres originales pour guitare et de 625 arrangements pour orchestre. Dans les années 1950 il arrange plusieurs extraits du ballet Navstretchou solntsou (À la rencontre du soleil), dont la valse dite des Flocons de neige.

La musique de Kostantin Guermanovitch VASSILIEV (1970) est un savant mélange d’expérimentation et de classicisme. Les Cinq Esquisses Russes ont été écrites pour Aynur Begutov en 2012. Chacun des mouvements de ce cycle évoque un type spécifique d’artisanat: la féérique Miniature deFedoskino décrit la peinture traditionnelle russe à la laque et à l’huile; les Jouets deKargopolsont de petits objets en argile apparues au XXe siècle; Gjel évoque les figurines en céramique et en porcelaine parées d'élégantes peintures bleutées typiques des villages de la région de Moscou; l’intermezzo lyrique Finift rend hommage à une technique spéciale de fabrication de coffrets et d’images miniatures, recouverts d’émail peint; Khokhloma, le spectaculaire final de ce cycle, reflète les éclatantes couleurs rouges et dorées de l’art traditionnel éponyme.

De 1969 à 1975, Alekseï Aleksandrovitch AGIBALOV (1940-2019) travaille à l’école musicale et pédagogique de Frounzé. Il y dirige notamment l’orchestre des étudiants en instruments folkloriques russes. Il devient ensuite soliste à la radio et au sein de l’Orchestre Philarmonique kirghiz. Il se produit dans toute l’URSS et participe au premier festival international de guitare russe aux États-Unis en 2006. Il réalise plus d’une centaines d’émissions du cycle Guitare et guitaristesà la radio et à la télévision kirghizes. Parmi ses œuvres pour guitare à sept cordes, on compte six concertos avec orchestre, des sonates, des suites, des adaptations de thèmes folkloriques, de la musique originale ainsi que divers essais.
Dans sa Fantaisie sur le poème «Monérable dégarni», Agibalov réussit à transmettre subtilement le lyrisme du poète Sergueï Essénine. L’auteur voyait cette fantaisie comme un «hommage aux maîtres du XIXe siècle». Il s’agit très certainement de son œuvre la plus profonde, un chef-d’œuvre de la littérature russe pour guitare.

Diplômé en 1975 de l’école de musique de Toula, Sergueï Ivanovitch RUDNEV (1955) se spécialise dans le bayan et la balalaïka. Il étudie la guitare en autodidacte, notamment à Moscou auprès des professeurs Slavski et Panine. Rudnev est un guitariste-compositeur très original, un grand improvisateur et l’un des compositeurs pour guitare les plus joués en Russie. Deux films musicaux sur le parcours de ce musicien hors normes ont été produits par la télévision russe. Outre la musique, il s’intéresse aux arts martiaux et est ceinture noire de karaté.
La danse folklorique Pochla mlada za vodoy (Jeune fille partie chercher de l’eau) est originaire de la région de Toula et plus précisément du district de Tchern. Sa mélodie est vieille de plusieurs siècles et l’on peut reconnaître en elle l’influence de la culture de la Horde d’or et des Cosaques du Don, qui a permis au style oriental d’intégrer l’art de la chanson russe.
La version du compositeur pour guitare à sept cordes a été écrite pour Aynur Begutov à l’occasion de sa tournée américaine de 2018.

Sergueï Dmitrievitch OREKHOV (1935-1998) naît à Moscou en 1935 et débute la guitare dans les années 1950. Après avoir servi dans l’armée en 1956, il est engagé comme accompagnateur au Concert de Moscou et se produit avec son épouse, l’interprète de romances et de chansons tsiganes Nadejda Andreïevna Tichininova. Leur duo est célèbre dans toute l’URSS. Il fonde également avec Alekseï Perfiliev un duo de guitares qui enregistre en 1985 un disque légendaire sur la musique d’Orekhov pour le label soviétique Melodiya. En tant que guitariste soliste, Il a donné des concerts en Allemagne, en Pologne, en Yougoslavie et en France.
Sergueï Orekhov a grandement contribué à la création d' un répertoire national russe pour guitare. Son travail a eu un énorme impact sur la diffusion de la guitare à sept cordes et a poussé plusieurs générations de guitaristes àse consacrer à cet instrument. Son legs artistique comprend de nombreuses danses et adaptations de romances tsiganes et russes qui, en matière de contenu dramatique, de forme et d’exploitation de l’instrument surpassent tout ce qui existait avant lui et représentent ainsi le point culminant de l’histoire de la guitare à sept cordes au XXe siècle. On trouvera ici trois de ses oeuvres les plus appréciées et les plus fréquemment jouées.

Aynur Begutov: Guitare à 7 cordes




L'alsace

09/02/2021

Vision fugitive d’Aynur Begutov et de la guitare russe

Plus d'infos